Laurent, si je dis que tu as déjà derrière toi plus de 25 ans de radio, que tu es arrivé à France Inter en 1990, que tu as écrit ou co-écrit trois livres sur la musique, que tu as programmé et commenté des festivals, que tu as fait des chroniques sur M6, que tu bosses aussi, actuellement, dans la presse écrite en plus de ton émission quotidienne (Sur La Route) et que tu es la plus belle voix d'Inter :) ... j'oublie encore beaucoup de choses ?
Que je suis sur un grand projet de site internet qui devrait vous plaire.
En effet ce que tu viens de me dire attise ma curiosité naturelle. Ce projet de site doit se concrétiser quand ?
Tu disais l'an dernier dans CoulissesMedias que tu aimerais faire de la télé. Une télé qui te plaise. Cela signifie que tu conçois d'arrêter totalement de faire de la Radio ?
Non, mais d’arrêter de vouloir faire de la télé :) : oui.
Je pense que de faire une télé qui me plaise est une utopie. Je préfère tenter de faire des choses réalistes et réalisables. La télévision est devenue un monstre où les budgets et les pressions sont colossaux.
Mais ne disons pas : « Jamais… »
En Septembre 2007 tu as démarré Sur La route. Pourquoi avoir arrêté Tendances Musiques ?
Je ne me suis jamais vraiment reconnu dans cette demie émission « Tendance Musique ». Ce n’était pas moi. J’aime le temps qui passe, j’aime installer
des ambiances et vous laisser croire que vous n’êtes pas seule. « Tendance Musique », ne laissait pas de place à l’errance.
Comment est né le concept de ton émission actuelle ?
Mettre le doigt sur des émotions un peu oubliées. J’avais envie de re-découvrir un répertoire un peu disparu, obsolète et has been, que nos sociétés raillent. Il ne fait pas bon vieillir aujourd’hui. J’avais envie de réanimer mes émotions, sur un instant. Je me suis dit que si je vibrais pour un Aznavour ou un Supertramp, d’autres en feraient autant. J’ai alors discuté avec la direction de France Inter afin d’apporter autre chose que de la nostalgie. J’ai proposé le concept de Sur la route, en imaginant ce GPS qui nous guide sur ses routes comme des années. Avec des événements précis relatant cette fameuse année (grâce à l’INA). Le but étant de remettre un succès dans le contexte de son époque. Et surtout permettre aux auditeurs de redécouvrir et
de ressentir ce hit avec les oreilles, le cœur et l’âge de la période en question. Je n’aime pas qu’on dénigre systématiquement le passé. C’est aussi grâce à ce passé que la nouvelle musique existe.
Il me semble que tu es un peu volage en matière d'émission, non ? Tu changes souvent de concept.
?Je ne comprends pas votre question ? Mon fil conducteur est la musique. Avant Tendance Musique, je présentais Ondes de choc à 23h et cela voguait entre nouveautés et gold. Sur la route est un concept plus serré, plus précis. C’est pour cela aussi qu’il fonctionne bien.
J’ai mal formulé ma question. Le terme de « volage » est sans doute abusif. Ce que je voulais dire c’est que tu as animé beaucoup d’émission, d’après se que j’ai lu au sujet des tes anciennes émissions j’en conclus que c’est comme si tu n’avais pas, jusque là, trouvé l’émission qui te correspond. Exprimé ainsi, c’est plus clair ?
Il est vrai que sur la route n’aurait pas pu exister quand j’avais 25 ans. Je pense que cette dernière correspond aussi à mon âge. C’est un âge où l’on peut se permettre de regarder derrière et devant nous.
Sur La Route te correspond plutôt bien. Les thèmes du voyage, de l'errance, de la route reviennent souvent chez toi, sous une forme ou sous une autre. Qu'est ce que cela
Le mouvement, le partage, la vie quoi !
La route et l'errance impliquent forcément la découverte, l'inconnu, l'exploration et la surprise, non ?
Oui, et j’ai eu ma dose en ce qui concerne tous ces thèmes. Sur la route ne véhicule pas vraiment de l’inconnu, mais plutôt de la re-découverte.
Je suis surpris de lire «vos » mails qui découvrent des chansons datant de trente ans. Ça me plait ! C’est une émission de nouveautés :)
Laurent, tu peux expliquer un peu en quoi consiste ton rôle de producteur ? Au cinéma et à la télé c'est assez évident. En radio c'est un peu différent, non ?
C’est celui qui propose le concept de l’émission, qui choisi son équipe, qui négocie les budgets, qui présente l’émission, qui insuffle sa ligne éditoriale, qui programme ses musiques (me concernant), avec un programmateur, qui décide des choix de sons, qui est responsable de son antenne et qui se fait virer si cela ne marche pas. Le producteur n’est pas fonctionnaire, pas intégré.
Karen Carpenter, Marvin Gaye, Neil Young. Des voix de l’enfance.
A la radio, des gens comme George Lang, Bernard Lenoir, Wolfman Jack ont accompagné mes rêves d’enfant.
A propos de musique, elle te fait "vibrer" depuis l'adolescence, comme tu dis, et même avant. Le premier artiste, le premier album qui t'as vraiment touché c'est Neil Young avec Harvest ou bien il y en a eu d'autres avant ?
Dans la famille, on écoutait aussi bien Django Reinhart, Johnny Hallyday, George Brassens que Deep Purple, The Who ou James Brown. Mais quand j’ai découvert du haut de mes huit ans « Harvest », je me suis alors dit que le monde ne se résumait pas aux quatre murs de notre chambre. J’ai toujours été quelqu’un de solitaire, et la musique m’empêchait de tourner en rond dans mes nuits blanches.
Laurent, t'es t-il déjà 'arrivé d'avoir à nouveau un coup de foudre, aussi fort que le premier, pour un artiste, comme si tu le découvrais, ou d'écouter un album que tu connais très bien mais d'une oreille légèrement différente et d'avoir une révélation ?
Oui, J’ai eu un vrai coup de cœur pour Ben Harper quand il a commencé. Pour Anthony & the Johnsons aussi. J’ai redécouvert Aznavour, Brel, Pink Floyd que j’avais mis de côté dans ma mémoire.
Tu as grandi dans quel univers musical ? Ou, si tu préfères quels artistes et quels styles de musiques écoutaient tes parents quand tu étais petit ?
J’ai répondu plus haut. J’ai toujours eu un côté excessif et monomaniaque avec la musique. Tous les genres, en profondeur.
A part le Jazz et le Hip Hop.
Si tu devais résumer ta vie, ton amour pour la musique par quelques dates et albums, artistes ou concerts clés, ceux avec lesquels tu as eu une révélation, ceux avec qui tu as eu un choc musical majeur, ou qui sont liés à des événements importants de ta vie ... Ce serait lesquels ?
Laisse moi un peu de temps. Il faut que j’ouvre mon livre pour me souvenir :)
Retournons à la Radio. 25 ans derrière un micro ça doit être beaucoup de bonheur mais aussi des déceptions, quelques frayeurs et des galères ... Quels sont tes souvenirs les plus marquants ?
Je n’aime pas garder les mauvais souvenirs. Il y en a eu, mais je les ai oublié. Sinon en vrac en oubliant les meilleurs :
-Ma première émission de radio pirate dans ma chambre avec les enceintes qui hurlaient au bord de la fenêtre de mon immeuble. Les pôtes montaient avec des petits papiers et des dédicaces que je devais faire. C’était radio cité avant l’heure.
-Ma première émission sur RFM, radio nationale.
Actuellement, qu'est ce qui te fait le plus "peur" quand tu prends l'antenne ou quand tu enregistres une interview ? Finalement, qu'est ce que tu redoutes le plus ?
A chaque fois que je prends l’antenne, c’est un peu comme dans un vaisseau spatial, la grande trappe s’ouvre, on est en apesanteur, dans le grand vide (direct), où tout ce que l’on fait ou dit est sans filet. A la fin du show, les portes se referment, plus d’apesanteur, tout redevient normal, sans danger. Ce qui me fait le plus peur en débutant chaque émission, c’est de savoir que c’est peut-être la dernière.
Quant aux interviews, c’est différent, j’ai toujours peur de ne pas rencontrer quelqu’un derrière l’artiste. Je trouve désolant de passer à côté d’une interview. Cela m’est déjà arrivé. J’ai besoin de découvrir la personne que j’ai en face de moi, même si je la connais depuis 20 ans comme Jean-Louis Aubert par exemple. A chaque fois, il me donne quelque chose de lui, et c’est pareil pour moi. On ne sort jamais indemne d’une belle rencontre.
Quels sont les plus beaux compliments que tu aies entendu ou que l'on puisse te
Quand je lis les mails ou le courrier que je reçois, je suis souvent surpris par la proximité qui existe entre les auditeurs et moi. Cela me plait. Il y a des compliments qui me touchent plus que d’autres. Quand j’accompagne ou comble au quotidien une solitude, quand le bonheur se lit entre les mots, j’ai l’impression d’être à ma place. Un transmetteur. Chaque soir, j’ai plaisir à retrouver la route.
En fin de compte, comment te définirais tu en tant qu'Homme de Radio ?
Un célèbre inconnu ? :)
Un transmetteur
Quelqu’un qui parle à quelqu’un
Une dernière question, Laurent ! Franchement qu'est ce que tu penses de la réforme actuelle sur l'Audiovisuel et de la RNT (Radio Numérique Terrestre) qui arrivent ? C'est la fin de la Radio telle qu'on la connaissait jusque là, non ?
Oui, tout à fait. Le système d’écoute est bouleversé, en pleine mutation. Ce n’est que le début de la chute des radios dites « musicales ». La radio se consommera différemment. Il ne faut pas en avoir peur, c’est juste l’individualisme qui me perturbe un peu. La vie ne se résume pas à un ordinateur. L’ultra-moderne solitude est enclenchée.
Mais, France Inter comme les autres généralistes ne seront pas ou peu touché par cette mutation. Par la forme peut-être (outils de transmissions), mais pas par le fond.
La route est tellement longue et belle Sabine :)
Laurent
Ce sont les petites Radios associatives, avec peu de moyens, qui ont le plus de soucis pour le passage à la RNT. Financièrement ça coûte cher mais leur avenir, c’est sans doute Internet.